Après cette expérience sur une maison flottante, Jérôme et moi même continuons notre découverte de l’île de Sulawesi, en remontant vers le nord, à Rantepao, ville principale du Pays Toraja, connu pour la spécificité de ses rites funéraires.
Un peu de culture… comme la confiture
Riche d’une culture tribale bien vivante et de paysages grandioses, la région du Pays Toraja fascine à juste titre les voyageurs. De fait, le choc visuel est immédiat, entre villages aux maisons délicatement peintes, toits cintrés en pirogue et imposantes rizières en terrasses, le tout couronné d’un chapelet de collines luxuriantes.
Pendant des siècles, ce peuple fit face à la menace des Bugis du Sud-Ouest tout en conservant leur culture. Puis en 1905, les Néerlandais entamèrent une campagne sanglante pour soumettre certaines régions de Sulawesi. Les missionnaires suivirent de près les soldats et à l’époque de la seconde guerre mondiale, la plupart des cérémonies traditionnelles avaient disparu.
Culturellement, les Torajas qui étaient plus la plupart animistes jusqu’au début du XXème siècle, entretiennent un lien particulier avec la mort. Si les rites archaïques tendent à se modifier avec la fin de l’isolement de la région, des cérémonies funéraires profondément ancrées restent au coeur de la tradition locale. (source : lonely planet)
Les maisons traditionnelles : un toit en forme de bateau ou de cornes de buffle ?
La journée est longue sur la route, bien que ponctuée d’arrêts et de jolis paysages de rizières et de villages. Nous découvrons enfin, en fin d’après midi, l’architecture de ces drôles de maisons se découper dans le paysage.
Les Torajas (« peuple des hautes terres » en langue locale) sont une ethnie d’environ 650 000 habitants, vivant dans les montagnes donc, dans le centre sud de l’île de Sulawesi.
Ces maisons traditionnelles, les Tongkonan, sont construites en bois et bambou, matériaux locaux en abondance, et les toits initialement en feuilles de palmier, ont maintenant été remplacés par des tôles rouges (ce qui leur évite de refaire la toiture tous les 5 ans, on peut les comprendre).
Les murs sont ornés de motifs traditionnels et peints uniquement en noir (la mort), jaune (le pouvoir, la bénédiction divine), blanc (la pureté) et rouge (le sang, la vie).
La forme du toit est sensée représenter soit un bateau… soit les cornes d’un buffle… à vous de choisir.
Les buffles sont des animaux sacrés et le nombre de cornes sur la devanture de la maison est le témoignage affiché de la richesse et de la notoriété de la famille.
Ces maisons ne peuvent pas se louer ni se vendre, elles restent exclusivement dans la famille.
Chaque maison est accompagnée de son grenier à riz, plus petit mais construit sur le même modèle.
Jérôme au guidon du scooter, et moi cramponnée derrière, nous nous aventurons dans des petits chemins à la découverte des villages un peu perdus. J’ai particulièrement peur en scooter (pourtant mon chéri conduit très bien), mais j’apprécie que nous découvrions en autonomie la région pendant deux jours.
Les rites funéraires Toraja…
Quand les morts ne sont pas encore morts
Le plus remarquable dans les coutumes des Toraja sont certainement les rites et cérémonies funéraires, très élaborées et ritualisées… Les Toraja croient que, sans les rites funéraires appropriés, l’âme du défunt vient causer le malheur de sa famille.
Quand une personne décède, elle n’est pas considérée comme morte tout de suite…. Elle est seulement « malade », jusqu’à son enterrement… Elle reste donc dans son cercueil, à l’intérieur de la maison (et oui !), jusqu’à ce que la famille trouve LA date idéale à laquelle tout le monde est disponible et surtout rassemble assez d’argent pour organiser les funérailles.
Et cela peut prendre longtemps… très longtemps… 1, 3 ou jusqu’à 10 ans ! En attendant, la famille continue à visiter le « malade », lui parler, apporter de la nourriture et de l’eau… Pour éviter les odeurs, les corps sont traités avec du formol, ce qui leur donne une apparence de momie.
Les funérailles coûtent particulièrement cher à la famille. Il faut acheter de la nourriture pour les centaines d’invités sur plusieurs jours, construire des aménagements en bambou pour accueillir tout le monde et acheter des buffles et des cochons. C’est pour cela que les Toraja ont beaucoup d’enfants, dont certains rejoignent les villes pour trouver un travail plus rémunérateur, pour –entre autre- pouvoir payer les funérailles des parents ou grands-parents !
La cérémonie de funérailles : une grande organisation
Le déroulement d’une cérémonie est très ritualisé : d’abord l’accueil des invités, puis la distribution des présents, les sacrifices d’animaux, le banquet et l’enterrement.
Les cérémonies de funérailles durent plusieurs jours (entre 3 et 10 jours), et nous avons eu la chance d’assister au premier jour des funérailles de « grand-mamie », 94 ans lors de sa mort – il y a 3 ans-, qui est issue d’une classe élevée, donc plus de 500 invités étaient attendus sur les 4 jours de cérémonie… Nous sommes allés avec une guide, que nous avions rencontrée la veille en nous baladant en scooter dans les villages, et qui après renseignements, avait été mise au courant de cette cérémonie.
Les invités sont enregistrés à l’entrée au fur et à mesure de leur arrivée, et les cadeaux qu’ils apportent sont consignés dans un cahier (dans l’ordre d’importance : buffle, cochon, argent, cigarettes) ; ce qui permet de « rendre la pareille » lors des prochaines funérailles. Plus l’invité est proche du défunt, plus il se doit d’offrir un cadeau de valeur. Ensuite, les invités peuvent rejoindre la case numérotée qui leur est assignée pour les 4 jours de cérémonie.
Quand Grand-Mamie se balade en chanson
En ce premier jour, le cercueil de Grand-mamie trône au milieu de la fête, et les proches se font prendre en photo devant. Puis il est de coutume de faire faire une « balade » au défunt. Les hommes soulèvent cette « chaise de porteur » et un grand voile rouge est déroulé pour que la famille proche suive en procession.
Juste à ce moment là, deux « buffles-cadeaux » s’échappent ! La foule se disperse rapidement en hurlant, heureusement, plus de peur que de mal…
Les choses revenues dans l’ordre, la balade de Grand-mamie continue… jusqu’à l’entrée du village… où le chapeau du cercueil se retrouve bloqué, car il ne passe pas sous la porte temporaire en bambou installée pour matérialiser l’entrée de la cérémonie ! Deux hommes grimpent pour démonter la porte et la procession reprend en chantant.
Arrivés dans le champ à l’entrée du village, les invités se livrent à un drôle de jeu… c’est la compétition entre l’équipe de porteurs de devant, et l’équipe de porteur de derrière… jusqu’à ce que la chaise tombe lourdement d’un côté ou de l’autre pour déterminer l’équipe gagnante !!!
Grand-Mamie est bien secouée la dedans !
Qu’à cela ne tienne, le retour se fait en fanfare, et le cercueil est ensuite monté sur la tribune où il restera jusqu’à la fin des 4 jours de cérémonie.
Les sacrifices d’animaux
Les buffles sont des animaux sacrés qui sont censés ouvrir en grand les portes du paradis. Selon la classe sociale, jusqu’à plusieurs dizaines de buffles peuvent être sacrifiés lors d’une cérémonie de funérailles. Achetés par la famille, ou offerts par les invités, ils représentent une dépense importante : selon la couleur de la peau et la forme des cornes, un animal s’achète de 1 à plusieurs milliers d’euros !
Je fais un petit aparté pour mettre les photos du marché aux buffles que nous avons visité à Rantepao
Bref, je n’ai pas le cœur à regarder les sacrifices, et me concentre sur l’observation des invités le temps qu’un coup de « parang » tranche la gorge de deux de ces bêtes (d’autres suivront dans les prochains jours) et qu’elles se vident de leur sang au milieu du village.
Des cochons (jusqu’à une centaine pour l’ensemble de la cérémonie) ont quand à eux déjà été égorgés depuis le matin, passés au chalumeau et découpés en pièces pour être cuits dans des tubes de bambou sur un feu de bois.
Le déjeuné est donc servi, par ordre d’importance des invités, et se compose de viande grasse de cochon bouillie, de riz et de bière.
Nous quittons la cérémonie vers 15h, heureux d’avoir pu découvrir une partie cette coutume.
Qui aurait pensé que pour une cartouche de cigarettes (c’est ce que nous avons payé), nous serions autorisés à débarquer, appareil photo à la main, aux funérailles d’une grand-mamie que nous ne connaissons pas…
Mais c’est en fait un honneur pour eux, qui renforce l’importance du défunt.
Et pour l’anecdote, ils passent eux-mêmes leur temps à photographier et filmer avec leur portable… la cérémonie est parfois même diffusée en direct sur les réseaux sociaux !!!
L’enterrement : au cœur de la pierre
Selon la tradition, le corps du défunt est ensuite déposé dans un caveau creusé dans la roche ou la falaise, ou dans des grottes ; et plus récemment, dans des mausolées construits en brique et ciment au bord des routes.
Le site historique de Londa, au sud de Rantepao est particulièrement impressionnant. A l’entrée d’une grotte, sont disposées des poupées en bois appelées « tau-tau », sculptées à l’effigie des défunts. Autour, et plus particulièrement à l’intérieur de la grotte, de nombreux cercueils – plus toujours en bon état- s’entassent dans les anfractuosités de la roche.
Parfois, un cercueil ouvert laisse s’échapper quelques os et des crânes perdus nous fixent dans le noir… Les vivants viennent régulièrement visiter leurs morts et leur offrir de l’eau et des cigarettes. C’est impressionnant car la grotte est profonde, et tous les espaces possibles ont été utilisés.
Un autre site traditionnel, tout aussi impressionnant, présente lui de nombreuses mégalithes, comme si Obélix était passé par là.
Et derrière la colline, dans une grosse roche ronde, nous découvrons, stupéfaits, les caveaux creusés dans la roche ! Certaines cases sont encore en construction…
De plus en plus, des mausolées sont maintenant construits, en briques et ciment, à la sortie d’un village, ou au bord des routes. C’est plus simple pour la famille, mais ceci commence à poser des problèmes de compétition de terres : construire une maison, un magasin ou un mausolée…
Enfin, quand il s’agit d’un bébé de moins de 6 mois, il est emmailloté puis positionné au creux du tronc d’un arbre bien particulier. Une porte en fibres naturelles est fabriquée pour refermer l’espace, et peu à peu, l’arbre va grandir autour du petit squelette.
Trekking entre montagnes, rizières et villages traditionnels
Nous poursuivons notre séjour en Pays Toraja par deux jours de trekking dans la montagne, avec Anis, un guide francophone que nous avons trouvé sur Rantepao. Laissant nos gros sacs à l’auberge, nous partons légers sous un agréable soleil pour quelques heures de marche entre rizières, forêt et villages traditionnels. Les paysages sont grandioses, la marche agréable.
Nous traversons des villages avec toujours ces maisons aux toits pointus, passons aux abords de plusieurs écoles, observons quelques paysans replantant leur riz, les buffles prenant leur bain ou broutant tranquillement, et des maisonnettes funéraires dans la roche ou à flan de colline.
Quand le village est à la fête
Le soir, nous dormons dans une maison traditionnelle dans un village, dont une pièce a été aménagée pour faire un homestay (chambre d’hôtes). C’est l’occasion de visiter ces maisons, qui comportent de grandes pièces assez vides (ils ont peu de meubles).
Pas de lits, mais simplement des matelas disposés à même le sol, qui sont parfois rangés chaque matin. Les sols sont en bois brut, parfois recouverts de bouts de tapis, tissus ou toiles cirée mal assortis. Pas d’isolation, pas de chauffage, pas de climatisation… mais une TV quand même.
Le village s’active pour préparer une cérémonie pour l’inauguration d’une nouvelle maison ! Et nous avons la chance d’y assister.
Après le dîner, nous rejoignons la place du village pour une soirée de chants traditionnels. Tous les hommes des alentours sont présents pour cette tradition, et en arc de cercle autour de leur meneur, ils entament des chants profonds et puissants, ressemblant à des incantations. A cela s’ajoutent quelques gestes rituels au rythme des clochettes accrochées sur leur tambourin.
Jérôme est invité à se joindre à eux, c’est un grand honneur et il se débrouille très bien ! La preuve en images.
Les femmes regardent leurs hommes. Elles seront à la danse demain elles, mais nous serons malheureusement repartis.
Le lendemain, les préparatifs continuent.
Dans l’attente des invités, les femmes font du pliage de feuille plastifiées pour faire des assiettes pour le riz. Nous donnons un coup de main, à leur grand étonnement, mais pour notre plus grand plaisir !
Pendant ce temps, les hommes amènent, dans de grands éclats de rire, plusieurs cochons successivement, plus ou moins gras, dans des cages en bambou.
Egorgés et immédiatement découpés, leur viande remplit des dizaines de tubes de bambous qui sont mis à cuire sur le feu. 1h plus tard, le déjeuner est servi…
Nous reprenons nos baskets pour finir notre trekking, retour à Rantepao, où une voiture nous attend pour un looooong trajet de nuit, direction Ampana et les îles Togian !